Deux années de recherches et de préparation sur de nouvelles activités pour Sony… avec une petite équipe de choc. En 2005, j’ai déposé un brevet pour Sony et proposé une nouvelle activité : la personnalisation en masse de vidéos.
Le problème initial est simple : lorsqu’un nouveau film sort, on le trouve quasiment instantanément en version piratée sur internet. Des revenus gigantesques échappent aux producteurs.
L’idée pour récupérer du revenu était aussi simple : il suffit de personnaliser le film pour qu’il reprenne de la valeur. Imaginez que vous puissiez avoir votre propre version de « Harry Potter » dans laquelle votre enfant joue un rôle ? En remplaçant un des acteurs du film par votre enfant. Du coup, il a un intérêt pour vous et votre famille, mais aucun intérêt pour les voisins ! Le piratage d’un film personnalisé devient un non-sens. Et tous les gamins vont vouloir avoir leur propre version… et vont être fiers de la montrer, ce qui crée une boucle virale.
Oui, un contenu personnalisé a de la valeur. Toutes les personnes interrogées autour de nous étaient prêtes à sortir leur moyen de paiement. Tout de suite.
Par extension, tout type de contenu vidéo peut être personnalisé et du coup devenir viral : publicités, séries télévisées… Imaginez la série « Friends » ou « Dr House » ou « The Big Bang Theory » dans laquelle les acteurs sont vos amis et vous… Vous ne savez pas à quelle sauce les scénaristes et dialoguistes vont vous manger. Intérêt et fous rires garantis !
Comme Sony envisageait de mettre le processeur de la PlayStation dans ses téléviseurs, on pouvait même imaginer de personnaliser en temps réel des émissions telles que le journal télévisé ou des séries…
J’ai reçu le support de Kunitake Ando (le Président de Sony Corp, qui m’avait engagé auparavant pour démarrer les PCs Vaio en Europe) et de Nobuyuki Idei (le CEO de Sony Corp). Grâce à eux, j’ai été reçu par les dirigeants des studios hollywoodiens (Sony Pictures, Columbia Pictures…) et d’autres (Pixar, Lucas Film…) pour présenter le projet.
Direction Holywood et la Bay Area (autour de San Francisco).
Et là, déconvenue… À ma grande surprise, la résistance a été incroyable. On m’a directement affirmé que la Guilde des acteurs, celle des scénaristes, celle des réalisateurs et les ayants droits y seraient immédiatement opposés.
Un acteur veut savoir avec qui il va jouer et peut refuser un rôle. Et en plus, se faire remplacer, non mais vous plaisantez ? Okay, il faut juste payer l’acteur un peu plus… en fait, beaucoup plus. Oui, c’est juste une histoire d’argent.
Georges Lucas, un maître dans la gestion des produits dérivés, y était aussi opposé. Ça échappait à son contrôle. Pour lui, ce n’était même pas question d’argent, c’était une question de principe. Son bras droit a été extrêmement clair avec nous.
La recommandation de l’industrie du cinéma est finalement tombée : « Démarrez avec les européens, ils seront moins regardant que les syndicats aux US ». Effectivement, en 2007-2008, la grève de la Writers Guild of America, aussi connue sous l’appellation « grève des scénaristes américains », a mis l’industrie à genoux.
Une de mes conclusions : une industrie a du mal à se réformer elle-même.
Sauf si…
Sauf si c’est une industrie à la pointe de l’innovation. Devinez la requête que j’ai eue lors d’une réunion de présentation du projet à Palo Alto ? J’aurais pu recevoir un financement immédiat si le projet avait démarré en personnalisant des vidéos pornos… Amusant. Et contre l’éthique de Sony qui ne voulait pas être associé à aucun projet dans ce domaine. Personnellement, j’aurais eu l’impression de ne pas rendre justice au potentiel de ce projet.
C’était trop tôt… La technologie pour faire cette personnalisation était disponible, nous avions fait des prototypes de démonstration dont vous trouverez des exemples en basse résolution à la fin de cet article. L’intelligence artificielle amène maintenant une facilité complémentaire dans la réalisation d’un tel projet.
Une autre résistance interne à Sony a fini par achever le projet. En fait, Sony n’était pas la bonne entreprise pour un tel projet. Il aurait fallu rester en mode startup.
Encore une fois, et j’ai quelques autres histoires vécues sur ce thème, c’est d’une autre industrie que viendra finalement le changement, la disruption.
Cette histoire illustre maintenant certaines de mes conférences.
Une nouvelle app disponible sur les smartphones, Reface, vient exploiter cette idée initiale, 15 ans après, en utilisant l’intelligence artificielle.
Visionnaire, je l’était certainement, cependant l’innovation doit arriver dans le bon contexte et au bon moment pour éclore.
Me voici donc dans Pirates des Caraïbes, remplaçant Johnny Depp, grâce au #deepfake de Replace… Je souhaite un bel avenir aux créateurs de cette app, et je leur souhaite d’arriver à contourner les résistances auxquelles j’ai fait face il y a 15 ans.
et aussi, parce que j’aime l’autodérision, vous me trouverez ci-dessous avec le corps de Shakira… ne faites pas de cauchemar !
Je suspecte néanmoins que l’industrie (films, tv, acteurs, personnalités) va tomber sur Replace pour leur demander la part du lion… C’est exactement la raison pour laquelle Netflix, Amazon Prime et Apple ont leurs propres studios pour créer leurs contenus exclusifs, pour être profitable sans problème d’ayant-droits.
Ci-dessous deux des prototypes basse résolution basés sur des vrais publicités de l’époque. Ne me jetez pas la pierre, l’époque était différente, ce type de publicité ne passerait plus maintenant… 15 ans plus jeune et sans barbe…
#philippeboulanger #theinnovationevangelist #ladansedelinnovation #deepfake